Résumé de l’épisode précédent : Au beau milieu de la fête, toutes les lumières se sont éteintes.

LA DER DE DAN

texte : Blanche HERROUGE – photos : Diane AGASSAN

Onzième épisode : De reconnaissance en reconnaissance

Pascal était au bord de l’infarctus. Plongé dans le noir, il imaginait la suite : comme dans un film de série B, l’assemblée allait se disloquer, chacun partant à tâtons à la recherche de l’autre dans la plus grande inorganisation. Non content d’avoir fait disjoncter le compteur électrique, le psychopathe tapi les attendrait aux quatre coins de la maison pour les décapiter, les tronçonner, les éviscérer, voire même les chatouiller. La soirée, qui avait déjà mal commencé par une très déplorable absence de frites au repas, risquait de virer au cauchemar.

Fort heureusement, Laure fit une nouvelle fois preuve du sens de l’initiative qu’on lui connaissait bien. Elle alluma rapidement vingt-huit bougies et glissa dessous un support un peu tarte qui traînait par là. Puis, le portant devant elle comme un flambeau, elle avança en éclairant ses pas dans la salle. Pour se donner du courage, elle se mit à chanter un refrain connu, bientôt repris par tous : « Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire… ». Alexia entra dans son jeu, soufflant avec à-propos sur les flammes vacillantes, avant d’enfiler un top fleuri du plus bel effet. Ceci déclencha les ovations du cercle qui s’était instinctivement resserré autour d’elle.

Le stratagème fonctionna au delà des espérances. Le psychopathe écoeuré par la démonstration d’un tel sens de l’amitié ralluma la lumière, rendant ses couleurs à Pascal, et s’évanouit dans la campagne. On n’entendit plus parler de lui. Tous s’en réjouirent en dégustant les gagâteaux confectionnés avec amour par Laura qui ne manquait jamais une occasion de régagaler les troupes.

Par un juste retour des choses, le jeu suivant était uniquement réservé à Dan. Il lui fallait une nouvelle fois prendre place dans la machine à remonter le temps pour mener une enquête très particulière : retrouver dans le passé des individus de sa connaissance, aux traits rajeunis sans l’aide de Photoshop. Pour la mener à bien, il avait à sa disposition une galerie de photographies d’époque fournies par tous les membres de l’assistance. Pour excuser par avance des identifications qu’il prévoyait décevantes, Dan nia aussitôt avoir jamais possédé quelque talent de physionomiste. Déroulant avec précaution chaque portrait que lui tendait Marie, il fit en sorte, grâce à cet alibi
douteux, de faire durer le plaisir pour permettre à tous de réfléchir à cette série de devinettes. Il marqua quand même quelques points, mais s’attira une huée générale quand il s’avéra incapable de reconnaître sa propre femme !

Le choix étant devenu restreint, l’erreur sur la dernière photo aurait été impardonnable. Il put donc conclure en beauté en nommant sans hésitation le dernier couple apparu : Marie et Pascal. Le père de Noémie trouva la transition parfaite pour prendre la parole. Il retraça une biographie de Dan non autorisée car certifiée rigoureusement farfelue, évoquant pêle-mêle les grades de judo, la littérature d’aventure et un fromager normand. Du grand n’importe quoi ! Il invita ensuite le public à fournir un dernier effort intellectuel en jouant avec les mots du dictionnaire formés autour de « Dan ».

En matière de sémantique, Marie-Odile ne voulut pas être en reste. Elle improvisa un sketch, entraînant Babeth dans un improbable numéro de duettistes, sur fond de « sucre de pierre » et autre « wassingue », avant de dériver sur leurs problèmes de couple de vacancières, sous l’oeil amusé de René. Les visages affichaient des sourires fatigués. On était déjà demain. Le ton devint plus solennel quand Marie remercia chacun de sa participation à ce weekend inoubliable.

Dans un silence religieux, Dan reçut ses deux derniers présents. Il reconnut dans les barres de Patrick Rougier une véritable œuvre d’art. N’en déplaise à Aragon, l’affiche rouge qui lui était offerte ne semblait pas une tache de sang, mais exprimait toute l’ affectueuse reconnaissance de ces bouches unies pour l’éternité. La conclusion appartenait à Dan. D’une phrase hachée, le souffle court, il admit avoir appréhendé cette soirée… mais être content de l’avoir vécue. Quelques larmes furtives furent écrasées après cet aveu rare de sa part, salué par de longs applaudissements. Le rideau de cette deuxième journée gorgée d’émotions tomba enfin, faisant voleter une multitude de poussières d’étoiles qui amena en douceur chacun, Dan le premier, vers un sommeil apaisé.

Au matin du troisième jour, selon son habitude, le coach n’assista pas à la grand-messe de la FSCF. Préférant l’intimité de la mélodie fredonnée la veille en famille, il laissa la sono trop bruyante à la foule emplissant les tribunes. Il n’admira pas ses aînées frissonner en justaucorps et en cortège, derrière la bannière du respect, affaire de tous. Il ne put apprécier le clin d’oeil adressé à Paris 2024 par le Président général. Il ne vit pas le podium s’affaisser sous l’enthousiasme des premières lauréates. Il n’eut pas droit non plus à la énième version collective du mouvement d’ensemble.

Dominique, partie aux informations, revint avec la nouvelle de la quinzième place obtenue par la Gaga. A l’annonce de cet heureux dénouement, tous eurent la même réaction : « Objectif atteint ! »
Marie, en plein jetlag, qui avait toujours fait du respect son affaire, lâcha un timide : « Bravo les championnes ! », à l’adresse du défilé final des équipes redescendues du podium.

Certains avaient hâte de regagner la capitale. Ils acceptèrent néanmoins l’idée de prolonger encore un peu cette tournée d’adieux. Tous savaient que ce moment hors du temps ne se présenterait plus, du moins dans ce contexte. Les restes de la veille étant largement suffisants pour la vingtaine de mangeurs encore présents, on organisa un pique-nique aux abords du parking. Ils parlèrent de tout et de rien. Le repas fini, ils firent disparaître toute trace de leur passage à cet endroit. En revanche, leur mémoire conserverait celle, indélébile, de ces très riches heures de début juillet 2017. Ils en avaient la certitude. Ils s’embrassèrent une dernière fois avant d’embarquer dans les véhicules.

Un voile humide embuait le regard de Dan, lancé sur la route du retour de son ultime aventure en rouge et blanc. Et pourtant, il ne pleuvait pas.

FIN ?

Avertissement : Toute ressemblance avec des personnes, des faits et des lieux réels n’est en aucun cas fortuite. Toutefois, les pensées attribuées dans ce récit, quoique très vraisemblables, n’engagent que la responsabilité de l’auteure.

REMERCIEMENTS

Diane AGASSAN remercie les photographes ayant alimenté les archives de la Gassendiana patiemment collectées par Dominique au fil des années. Le défilé (épisode 6), Hélène et ses amies (épisode 7) en proviennent. Les cartes à jouer (épisode 7) sont extraites d’un film de Pascal qui n’est jamais sorti en salles.
Blanche HERROUGE remercie tous les acteurs qui lui ont inspiré ce feuilleton estival et accordé leur confiance qu’elle espère ne pas avoir trahie ici. Elle remercie Dan pour sa patience infinie et sa personnalité exceptionnelle.

Blanche et Diane remercient également le site de la Gaga pour son hébergement, les nombreuses lectrices et les plus rares lecteurs fidèles à ce rendez-vous estival bi-hebdomadaire. Elles les retrouveront avec plaisir début septembre sur le stand de la Gassendiana, à l’occasion du Forum des associations. Belle fin d’été à toutes et à tous !