Résumé de l’épisode précédent : Le briefing de Dan est terminé. Direction les tapis de jeu…

LA DER DE DAN

texte : Blanche HERROUGE – photos : Diane AGASSAN

Septième épisode : La roue tourne

« Faites vos jeux… Les jeux sont faits… Rien ne va plus ! » Ces phrases familières résonnaient dans la tête de Dan. Il ne manquait jamais l’occasion de faire un détour lorsqu’un déplacement le conduisait à proximité d’un casino. L’appât du gain n’était pour rien dans cette habitude ; il recherchait plutôt l’émotion engendrée par ce flottement d’incertitude qui précédait la sanction, qu’elle lui fût favorable ou non. Et si la fortune lui souriait, ce n’était que la cerise sur le gâteau.

Dans ce hall, les tapis n’étaient pas verts. Ni croupier, ni hasard, mais onze tirages quasi- simultanés, dont on ne retiendrait que les huit meilleurs, cette opération se répétant quatre fois. Il devrait avoir le cœur bien accroché durant cette épreuve où il ne serait que très peu maître du destin de son équipe.

« Faites vos jeux ! » De ce côté-là, il était fin prêt : Il pouvait légitimement considérer l’ensemble de ses fiches comme le fruit de sa théorisation de la martingale, celle que recherche tout joueur, comme l’alchimiste la pierre philosophale. « Les jeux sont faits ! » Tout juste aurait-il la possibilité, durant leur échauffement aux agrès, d’apporter aux gymnastes un supplément d’énergie et d’assurance. Il puiserait pour cela dans son arsenal de sourires complices et de gestes correcteurs. Il avait mis au point sa propre langue des signes qui lui permettait de communiquer avec toutes sans quitter son siège mobile toujours placé aux premières loges. Ses lieutenants du jour, Dominique, Agnès, Mélanie et Oriane, auraient en charge la logistique de proximité.

« Rien ne va plus ! » Une fois le signal du départ donné par Babeth, l’accélération serait brutale, les passages s’enchaînant quatre à quatre. Même avec un strabisme extrêmement divergent, il ne pourrait tout percevoir des évolutions proposées. Ce serait comme toujours un peu frustrant. Des mois voire des années de travail pour une explosion de la quintessence en quelques minutes, dont tous les détails ne sauraient être enregistrés par un unique regard, même expert comme le sien.

Estelle, en posant les mains sur la poutre, déclencha un étrange phénomène. Elle avait lancé la roulette ! Dan eut l’impression d’être une bille projetée en sens inverse de la rotation d’un manège vertigineux. La vitesse à laquelle il croisait les cases numérotées d’un éphéméride géant était telle que, la persistance rétinienne aidant, le passé se superposait au présent. Ses paupières lui semblaient clignoter comme un stroboscope, révélant une succession d’images sans continuité apparente.

D’abord, une multitude de visages. Une cohorte de gyms, d’entraîneurs, de dirigeants, de juges, de parents, de bénévoles… quelques-uns étant tout cela à la fois. Certains attendaient soigneusement rangés dans sa mémoire, n’ayant pris aucune ride malgré les années écoulées. D’autres avaient bénéficié d’une mise à jour récente grâce aux rencontres-surprises organisées par sa fille tout au long de cette saison. Ces soirées avaient été autant de facettes du miroir réfléchissant son implication exceptionnelle auprès de la Gassendiana et de la FSCF.

Tous ces petits bonheurs partagés avaient autant de valeur que cette médaille d’or de la Jeunesse, des Sports et de l’Engagement Associatif qui lui avait été décernée dès 2011. Sans la renier, cette récompense honorifique en forme de consécration n’était pas son Graal personnel. Elle ne l’avait donc pas incité à mettre un terme à sa quête d’idéal sportif, mais plutôt encouragé à la poursuivre encore quelques années.

Des podiums individuels, ensuite. Innombrables aux niveaux départemental et régional, avec bien souvent des justaucorps rouges et blancs sur plusieurs marches, dont la plus haute. Plus rares, mais d’autant plus délectables, six podiums nationaux : trois pour Hélène, la très honorable étoile incontestée du club, un pour Sophie, et deux pour Dominique et Marie, de mère en fille, à tout juste trente ans d’intervalle.

Des podiums collectifs, aussi. La Coupe Fédérale remportée en 1987, suite logique de la 4ème place au Fédéral de l’année précédente. Et cette deuxième place en Fédéral 1 en 2009 ! Dan se souvenait que son annonce totalement inattendue lui avait fait tomber des mains son recueil de Sudoku. Il revoyait aussi les larmes de joie inonder les joues sous le ciel sans nuage de Saint-Sébastien-sur-Loire. Cette improbable réussite avait propulsé cette génération d’aînées au plus haut niveau, d’abord par obligation puis par défi, car elles n’hésitaient plus désormais à se frotter aux meilleures équipes hexagonales. Elles avaient ainsi signé en Fédéral, devenu depuis peu National, un bail ininterrompu de huit ans.

Après un envol gracieux, Laetitia reprit contact avec la terre ferme, marquant un léger sursaut en arrière sur le tapis de réception. Ce signal marqua la fin de l’état hypnotique dans lequel s’était trouvé plongé Dan. Il pensa que le manque de sommeil était à l’origine de ce rêve éveillé. Les filles se congratulaient, les poutres étaient désertes. Visiblement, c’en était déjà fini pour ce premier agrès. Il se pinça pour vérifier qu’il était bien totalement de retour dans le feu de l’action.

Messmer était-il dans la salle ? Notre héros a-t-il misé sur les bons numéros ? Vous le saurez sans doute dans le huitième épisode de LA DER DE DAN .

A suivre…