Résumé de l’épisode précédent : Dès le premier agrès, l’équipe a pris de l’avance sur son tableau de marche du Régional.

LA DER DE DAN

texte : Blanche HERROUGE – photos : Diane AGASSAN

Neuvième épisode : Des corps au sol aux barres de Vanille coco

Les ressorts des praticables poussaient des gémissements métalliques plus ou moins prolongés. Leur couleur sonore révélait l’intention des corps lorsqu’ils jouaient de ces instruments à pistons. La course était feutrée comme un chuchotement. L’impulsion cinglait comme un bref appel à un ami. La réception s’épanouissait en un écho libérateur. Parfois, un couac retentissait, provoqué par un impact de postérieur, improvisé par hésitation ou par inattention. Avant le concert, chaque soliste révisait ainsi ses gammes pour exécuter ensuite sa partition sans fausse note.

L’ouverture au micro de Babeth : « Echauffement terminé ! », fut aussitôt suivie du leitmotiv préféré de Pascal : « Allez la Gaga ! », qu’il entonna a capella. Le silence se fit. Le premier quatuor se présenta pour interpréter le premier opus en sol majeur. Le deuxième lui succéda, bientôt suivi d’un duo.

Depuis de nombreux mois, les gymnastes avaient librement choisi dans le grand catalogue les difficultés imposées qu’elles présenteraient aux jurys et au public. Leur but était de mettre en accord leurs répertoires personnels avec toutes les tonalités offertes par le bandonéon officiel. Sur les deux pistes parallèles, chacune devait en effet dérouler sur la même musique sa propre chorégraphie. Les justaucorps rouges surlignés de blanc faisaient merveille. Ils magnifiaient la prestance des filles et accentuaient la précision de leurs gestes, faisant tanguer le cœur des supporteurs acquis à leur cause.

Le solo de Vanessa apporta la touche finale au récital. Elle évolua sur la mélodie plus orientale du quatrième degré, volant sur le tapis pour réussir enfin ce saut de main dont elle rêvait depuis mille et une nuits. Juste après son salut final, elle rejoignit en trois bonds le sérail douillet où l’enlacèrent les bras de ses coéquipières aux anges. Il y avait de quoi : elles avaient rarement compilé une prestation collective aussi dense. Les juges en étaient convaincus qui attribuaient aux dix « sixième degré » des notes dépassant les vingt points ! Sur cet agrès, la Gassendiana récolta un nouveau bonus de 4,69 points…

Dans le hall modulable, les spectateurs étaient massés debout et sur plusieurs rangs, derrière les barrières délimitant l’enceinte sportive. Seuls les venus tôt avaient pu accéder aux deux minuscules tribunes permettant de prendre un minimum de hauteur pour augmenter leur champ de vision. Les passionnés de la Gaga étaient de ceux-là. Ils ne ménagèrent pas leurs encouragements lorsque les filles passèrent devant eux en direction des tables voisines.

Alexia offrit pour le dessert un délicieux Tsuk groupé. Mais les plats servis auparavant souffraient de quelques approximations et d’une présentation moins impeccable qu’à l’accoutumée. Ils comportaient notamment quelques déséquilibres gustatifs servis dans des assiettes parfois hésitantes. De ce fait, la réception des ambassadrices de la gym parisienne n’atteignit pas la perfection attendue. Déconcentration due à l’oeuf au riz d’une mise en bouche trop réussie ? Ou trop grande sévérité des critiques gastronomiques ? Toujours est-il que l’avance engrangée se retrouva amputée de 4,32 points. La note était salée et il fallait remettre le couvert.

Un tapis rouge posé sur le ciment matérialisait l’espace qui recevait à la chaîne et entre deux cloisons tous les mouvements d’ensemble de la journée. A la vue de cette couleur familière, l’équipe retrouva ses marques dans une belle unité. Le synchronisme de sa démonstration fut salué par une salve d’applaudissements spontanés. La Gaga était repartie au quart de tour, adroite. Dan en sifflota d’aise. « C’est le meilleur que vous ayez fait de la journée ! », observa Oriane. +0,10 conclurent les juges.

Une pause forcée s’ensuivit. Les filles tentèrent de conserver l’énergie positive qu’elles venaient d’emmagasiner, pendant que le staff se penchait sur les comptes. Anticipant le coup de barres, Dan se frotta les yeux et ne put réprimer un long bâillement, bientôt imité par Estelle.

Babeth se chargea de sonner le réveil : « Mesdemoiselles, debout ! Vous changez d’agrès ! ». Le dernier de la carrière du coach, dont il enregistrait inconsciemment chaque détail. Les ablutions sèches dans les bacs, associant aux gyms Pilate, spécialiste reconnu du lavage de mains. Les nuages de magnésie créant une atmosphère un peu surnaturelle. Les grincements du bois, rythmés par les mouvements pendulaires. Ses ultimes conseils : « Marie, tes jambes à ton retrait ! », « Laetitia, doucement, pense à souffler… »

Cette dernière appliqua parfaitement la consigne à son corps défendant. Elle battit le record de la durée de cet exercice, avec un double départ suivi de propositions non prévues par le code, telles que la statue parlante sur barre inférieure ou l’escarpolette perpétuelle sur barre supérieure. Peut- être, en se balançant, avait-elle encore en tête l’image de Vanessa qui venait d’y perdre deux tailles de bonnet, conséquence d’une reprise de contact thoracique sans douceur. « On n’a jamais eu des barres aussi dures de notre vie ! » expliqua après coup Noémie.

La pression retomba brutalement elle aussi. Quelques larmes jaillirent chez les plus anciennes. Elles prenaient conscience de l’imminence du terme de leur aventure sportive commune. Puis vint le temps des embrassades, des photos-souvenirs de sourires retrouvés et de la tournée à la buvette. « C’était une belle compète ! » reconnut Dan. Les filles avaient concrétisé toute leur envie de bien faire en obtenant des résultats très satisfaisants. Elles étaient d’autant plus indissociables dans cette réussite collective que toutes avaient contribué à la note globale de l’équipe. Enfin, et ce n’était pas le moins important, elles avaient également évité la blessure, écueil d’une fin de saison éprouvante qui aurait gâché la fête.

Comme pour conjurer l’inexorable marche du temps qui allait les séparer, elles éprouvèrent une soudaine soif de vivre ensemble un moment joyeux de complicité enfantine. Elles remplacèrent le très tendance bain de glace par un tout aussi rafraîchissant bain de jouvence. Elles s’y plongèrent avec délectation en se lançant à l’abordage du bateau gonflable tout proche. « Fluctuat nec mergitur », songea le vieux loup de mer qui voyait le port s’approcher, où il poserait définitivement son sac.

Il lui restait encore quelques vagues à affronter…

Notre héros saura-t-il résister au chant des sirènes ? De quelles surprises sa soirée sera-t-elle émaillée ? Vous le saurez sans doute dans le dixième épisode de LA DER DE DAN .

A suivre…