Résumé de l’épisode précédent : Les dernières voitures officielles sont arrivées avec la nuit. Toute la délégation s’en est allée dormir. Toute ?

LA DER DE DAN

texte : Blanche HERROUGE – photos : Diane AGASSAN

Quatrième épisode : Ouvert la nuit

Dénicher un hébergement pour vingt-quatre personnes à moins d’une demi-heure d’Angers, telle avait été la gageure tenue par Mélanie quelques mois plus tôt. Pari tenu : Le logis « Les grainetiers » correspondait parfaitement à cette attente. Quand ils avaient aménagé leur gîte de charme, Chantal et son époux avaient personnalisé les six chambres d’hôtes qui remplaceraient désormais le séchoir à grains. Chacun des noms qu’ils leur avaient attribués était en rapport avec la décoration soignée de ces pièces toutes différentes. Leur liste constituait d’ailleurs une véritable invitation au voyage à travers l’Univers. Ce n’était pas par hasard: ils souhaitaient y accueillir plus particulièrement les amateurs d’astronomie qui trouveraient leur bonheur sous le ciel d’Anjou à la transparence si particulière…

Tapis, sacs et bonnet péruviens chamarraient les murs d’Amantani. Encore bercées par Pacha Tata et Papa Tata, Vanessa et Laetitia voguaient côte à côte sur leur radeau commun, rêvant sans doute du trésor inca qui aurait été précipité jadis dans les eaux paisibles du Titicaca. Une échelle de meunier plus haut, surplombant la couchette d’Evna, Pascal fut le premier de la chambrée à émerger de son poste de vigie. Quelques heures plus tôt, la chaleur moite accumulée sous les combles l’avait incité à ouvrir la fenêtre du toit pour espérer s’endormir. En ce petit matin, la température était redevenue acceptable. Restant prudemment à genoux pour ne pas se cogner dans le plafond mansardé, il passa la tête par l’écoutille. Nulle mouette à l’horizon mais, perchée sur la cheminée, une hirondelle rustique poursuivait à gorge déployée le concert qui avait abrégé son sommeil quelques instants plus tôt. Il ne savait s’il devait s’extasier où ronchonner devant la puissance développée par de si petits poumons. Quoi qu’il en fût, il estima qu’elle méritait d’être filmée.

Resté dans la salle de réception, Dan n’avait pas fermé l’oeil. La veille, juste au-dessus de lui, le rideau très théâtral s’était refermé sur la chambre Vérone, dont, heureuse coïncidence, le décor était parsemé de nombreuses touches rouges et blanches. Son insomnie n’était certes pas dûe à la crainte d’en voir sortir le fantôme de la jeune Capulet, puisqu’il y avait installé les deux Valérie pour des raisons pratiques. A 6h15 très précises, il avait en effet accompagné les juges de la Gassendiana sur leur lieu d’exercice avant de rentrer au bercail. Dan n’était déjà pas un gros dormeur, mais cette nuit-là avait quelques raisons de rester blanche pour lui.

Cette excitation du compétiteur qu’il n’avait jamais cessé d’être, il la connaissait bien. Mais depuis une bonne semaine, il vivait et revivait par anticipation cette ultime sortie sportive qui se profilait, l’imaginant dans les moindres détails avec encore plus de méticulosité qu’à l’habitude. Il était même allé jusqu’à élaborer des statistiques à partir des derniers résultats obtenus par ses gymnastes. Selon des calculs très savants, la dixième place était envisageable et il espérait plus raisonnablement atteindre le top 15 de l’élite nationale. Mais il le savait pertinemment : le sport n’est pas une science exacte. Tout allait dépendre non seulement de la prestation de son équipe, mais aussi de celle de ses concurrentes. Sans compter la notation des juges dont la part de subjectivité n’était pas complètement négligeable.

Il avait hâte de ranger ce genre de soucis dans son placard à trophées bien garni. Mais il se trouvait aussi dans la situation ambigüe du lecteur arrivant à la fin d’un ouvrage passionnant : à la fois heureux d’en connaître le dénouement et un peu triste d’en tourner la dernière page, au point de ralentir sa lecture pour donner à cet instant un semblant d’éternité. Pour que cette conclusion approche la perfection qu’il visait, il s’était demandé toute la nuit ce qu’il avait pu oublier dans sa préparation. Et comme il n’avait rien oublié, il ne pouvait rien trouver. La mise en abîme de cette quête impossible l’avait maintenu en éveil jusqu’à l’heure du petit-déjeuner, marquée par l’arrivée échelonnée du groupe dans l’espace qui lui avait servi de chambre. Room service qu’ils disaient !

René, Pascal et Claude étaient plus détendus. Le rose pastel omniprésent dans leur chambre Romantique y était certainement pour beaucoup. Ils avaient passé la nuit en compagnie de trois jolies poupées costumées qui, juchées sur la commode, couvaient du regard leur lit à baldaquin. Ils seraient volontiers restés sur leur petit nuage.

La réalité les rattrapa à 9H07, quand tout s’accéléra. Avec vingt-trois minutes d’avance sur le programme, on repoussa les tables. La salle était vaste, mais quand les filles prirent leurs distances, Noémie se retrouva éjectée de l’autre côté de la baie vitrée heureusement ouverte. Oriane lui tint compagnie dehors pour vérifier l’alignement.

La répétition matinale du mouvement d’ensemble, véritable rituel, était depuis toujours le signal de l’entrée dans la compétition. A partir de cet instant, chaque geste, chaque parole alimenteraient la concentration collective qui s’intensifierait au fil de la journée. Elle était aussi le symbole parfait de l’entraide et de la coordination qui allaient transformer à vue les individualités en équipe soudée.

Tandis que les mesures à huit temps rythmaient le début de cette métamorphose, une voiture se gara discrètement sur le parking.

Quelle nouvelle surprise attend notre héros ? Son stock de Doliprane sera-t-il suffisant ?

Vous le saurez sans doute dans le cinquième épisode de LA DER DE DAN .

A suivre…